Publié le 7 Mai 2024
Axelle Maneval, Psychologue en soins palliatifs,
Directrice de recherches laboratoire ACCePPT UCA
Même dans le contexte d’une maladie mortelle, se tuer c’est à dire le suicide (même assisté), et demander à être tué, c’est-à-dire l’euthanasie implique des mécanismes très différents. En 2023 Etienne Hubert et Vincent Morel rappelaient les différences fondamentales juridiques. Les mécanismes psychiques sont également à différencier.
Si le désir de mort est souvent exprimé au-delà d’un certain âge, le désir de se donner la mort, lui, reste exceptionnel. Les idées suicidaires surviennent tout au long de la vie (Briggs, 2023). La réalisation de l’acte indique une désintrication des pulsions au bénéfice de la mort de soi, un soi désinvesti par le sujet. En l’absence de diagnostic psychiatrique, c’est-à-dire en l’absence par exemple de dépression, l’acte suicidaire est motivé par un affect de détresse c’est-à-dire ce sentiment d’une perte de soi au niveau identitaire et d’une perte de sens de l’existence avec la maladie grave et sans espoir d’issue favorable. L’acte ultime de se tuer, que ce soit par médicaments ou d’autres moyens nécessite alors que la personne soit convaincue de sa décision. L’acte est la réponse au conflit intérieur entre les pulsions de vie et de mort, à l’impasse existentielle et identitaire à vivre la maladie en soi (Van Lander, 2015). La décision peut soulager l’angoisse sans pour autant que l’entourage et les professionnels perçoivent de souffrance. Le suicide apparait au sujet comme le « seul moyen restant pour préserver sa dignité » (Akhtar 2015, 260) face aux « indignités » de la vieillesse et de la maladie terminale. La demande de prescription d’un médicament mortel est à entendre dans ce contexte comme une demande de simplification de cet acte pour qu’il ne soit pas douloureux. La demande n’est pas pour autant qu’un autre agisse à la place du sujet. Aucun observateur ne peut savoir si et quand le sujet fera ce choix puisque la personne elle-même ne peut en être convaincu tant qu’elle ne l’a pas réalisé. Combien de patients nous confie avoir été à la limite ? Comme ce gendarme dont l’arme s’est enraillée et qui n’a jamais réitéré son geste…
Celui qui ne réalise pas l’acte suicidaire mais demande à autrui d’être tué, c’est-à-dire demande l’euthanasie est toujours dans l’ambivalence en transférant sur autrui ce choix impossible : il exprime le désir d’en finir avec l’existence mais sans pour autant pouvoir être dans le geste qui le réalise. Anthony Bourgeault évoque alors la figure du « suicidant-limite » (Bourgeault, 2006 : 99-112) qui se tient entre la vie et la mort, entre le désir de mourir et le désir de vivre. La demande d’être tué, l’euthanasie, est à entendre comme une demande à autrui d’être sorti de cette impasse. Incapable de mettre fin au paradoxe entre désir de vie et de mort, le sujet demande à l’interlocuteur, famille ou professionnel, de faire à sa place le bon choix. La demande de mort est à traiter comme une communication, un appel à l’autre et à la relation qui soigne. Kelly et Varghese (2016) affirment que le sens de la demande de mort est à explorer. Ne pas le faire indiquerait chez l’interlocuteur des problèmes avec la mort et la maladie.
Au niveau psychique, la demande d’être tué est donc clairement à différencier de l’acte suicidaire facilité ou non par une prescription médicamenteuse. L’acte suicidaire est la seule preuve ultime possible du choix sans ambivalence du patient. Sans cet acte, personne ne peut juger à sa place du bien-fondé de la décision et du moment de sa survenue. Les patients suicidaires sont bien en peine eux-mêmes d’expliquer pourquoi à tel moment la décision s’est imposée… L’acte porté par un autre ne respecte pas ce droit à l’ambivalence dont l’issue est toujours inconnue pour autrui.
Akhtar, S. (2015). Some Psychoanalytic Reflections on the Concept of Dignity. The American Journal of Psychoanalysis. 75 : 244–266.
Bourgeault A. « mort ou faute » : essai sur les fantasmes de suicide limite comme effets d’une différenciation interdite, [En ligne] sur http//id. erudit.org/iderudit/013532ar, vol 15, N°1, 2006, p. 99-112.
Briggs, S., Lindner, Goldblatt, M. J., Kapusta, N., Teising, M. (2023). Réflexion psychanalytique sur la demande de suicide assisté. In L’Année psychanalytique internationale 2023/1, 93-115.
Hubert, E., Morel, V. (2023). Euthanasie et suicide assisté, deux voies distinctes malgré les apparences, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, Volume 181, Issue 10, 923-929.
Kelly, B., and F. Varghese. (2016). The Seduction of Autonomy : Countertransference and Assisted Suicide. In When Professionals Weep : Emotional and Countertransference Responses in Palliative and End-of-Life Care. Edited by R. Katz and T. Johnson, 137–151. London : Routledge.
Van Lander, A. (2015) Apports de la psychologie clinique aux soins palliatifs, Erès.